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Les scientifiques appelés au chevet des forêts du bassin du Congo

Longtemps, le sort du bassin du Congo est apparu comme une préoccupation secondaire face à l’urgence de freiner la destruction des forêts d’Amazonie ou d’Indonésie converties à marche forcée en plantations de palmiers à huile, en champs de soja ou en vastes pâturages pour l’élevage bovin.
Ce temps semble révolu. Plusieurs programmes scientifiques d’envergure viennent d’être lancés, à l’instar de l’Initiative Science pour le bassin du Congo (ISBC), pendant du projet mené il y a vingt-cinq ans en Amazonie pour comprendre le fonctionnement de la plus grande forêt tropicale. Baptisé The Large-Scale Biosphere-Atmosphere Experiment in Amazonia (LBA), il a mobilisé des centaines de chercheurs, un budget de 200 millions de dollars (190 millions d’euros) et contribué à former une nouvelle génération de scientifiques locaux.
En marge de la conférence mondiale sur le climat (COP29), qui s’est achevée le 24 novembre à Bakou (Azerbaïdjan), le gouvernement britannique a annoncé un financement de près de 12 millions de dollars en faveur de l’initiative pour le bassin du Congo. C’est un début. « Tout le monde a compris qu’il faut investir dans la science. Les forêts africaines demeurent les moins bien étudiées malgré leur rôle crucial dans la régulation du climat. Pour comprendre les impacts actuels du réchauffement et anticiper l’avenir, nous avons besoin de données scientifiques », se félicite Raphaël Tshimanga, professeur à l’université de Kinshasa et coprésident – avec Simon Lewis (Université de Leeds) – d’ISBC.
Les travaux conduits par ce dernier sur les tourbières situées dans le nord du Congo et de la République démocratique du Congo (RDC) ont contribué à braquer les projecteurs sur la région. Ces formations, vieilles de plus de 10 000 ans, sont les plus vastes de la planète en milieu tropical et constituent un gigantesque réservoir de carbone, représentant l’équivalent de trois années d’émissions de gaz à effet de serre à l’échelle mondiale. La dégradation rapide des capacités de séquestration du massif amazonien, notamment sous l’effet des fortes sécheresses, a aussi, de manière fortuite, fait de la publicité aux performances des écosystèmes africains.
En 2020, un article paru dans Science sous la direction de Wannes Hubau, chercheur au Musée royal de l’Afrique centrale de Bruxelles, annonçait que les forêts africaines ont désormais une capacité de séquestration plus importante que l’Amazonie, même si leur fonction de puits naturel s’affaiblit avec la déforestation. Ces résultats reposent sur les mesures de biomasse présente dans 565 parcelles de quelque 1 hectare de forêts dites intactes, réparties en Amazonie et en Afrique et réalisées à intervalles réguliers sur une période de trente ans jusqu’en 2015.
L’un des objectifs d’ISBC est d’effectuer une nouvelle campagne de relevés dans le bassin du Congo. « Ce sont des missions coûteuses et difficiles car il faut atteindre des parcelles situées dans des zones reculées et mesurer tous les arbres dont le diamètre est supérieur à 10 cm pour en déduire ensuite le carbone stocké. Tous les scientifiques s’interrogent. La forêt africaine suit-elle le chemin de l’Amazonie ? , explique Adeline Fayolle, spécialiste de l’écologie des forêts d’Afrique centrale, tout en pointant le nombre insuffisant de sites de mesures. Ce sont quelques points – environ 200 – disséminés sur un territoire immense. »
Le Centre international de recherche agronomique pour le développement (Cirad), auquel la chercheuse installée au Gabon est rattachée, participe à l’autre initiative scientifique lancée en 2023 : One Forest Vision, financée par la France, à hauteur de 15 millions d’euros et dont l’ambition est aussi d’améliorer le système d’observation de la région.
Les scientifiques guettent ces points de bascule à partir desquels les écosystèmes forestiers, sous la pression conjuguée des activités humaines et de la transformation du climat, ne seraient plus en mesure de jouer le rôle de puits de carbone. Jusqu’à présent, les forêts africaines ont montré une capacité de résilience et de régénération plus importante.
« Elles n’ont pas la même histoire. Elles se sont adaptées depuis longtemps à une plus forte variabilité entre la saison sèche et la saison humide. Elles sont également habitées depuis plus longtemps. Cela doit conduire à manier ces notions de seuils avec nuance », met en garde Bruno Hérault, du Cirad, qui travaille sur la reconstitution des forêts dégradées en Afrique.
A Yangambi, en RDC, sur ce qui fut à l’époque coloniale le plus grand centre agronomique de la région, une tour à flux haute de 55 mètres enregistre depuis quatre ans les échanges nets de CO2 entre la canopée et l’atmosphère. C’est jusqu’à présent l’unique station de toute l’Afrique centrale mais trois autres devraient être installées : deux en RDC, dans les forêts marécageuses près de Mbandaka et dans les savanes boisées de Lubumbashi ; une troisième dans les forêts humides de la réserve du Dja au Cameroun. Plusieurs millions d’euros sont nécessaires pour construire ces infrastructures et en assurer la maintenance sur le long terme.
« Ces stations nous fournissent les informations les plus précises. Nous pouvons voir comment les arbres réagissent à l’augmentation des températures ou à une variation de la pluviométrie. Elles sont aussi précieuses pour intégrer des paramètres locaux dans les modèles globaux de prévision et les rendre ainsi plus fiables. Mais nous ne sommes vraiment qu’au début de ce travail », explique Pascal Boeckx, professeur à l’université de Gand, qui a piloté le projet Yangambi.
La pression sur les scientifiques est grande. « Les financiers ont besoin d’indicateurs simples, mais nous sommes face à des écosystèmes très vastes et très complexes », rappelle Adeline Fayolle. Car ce qui se joue aussi derrière ces budgets de recherche en forte hausse est la mise en place de marchés du carbone pour rémunérer les politiques de protection des forêts.
Lors de la COP29 de Bakou, les Etats ont approuvé les derniers détails de l’article 6 de l’accord de Paris qui encadre les crédits carbone liés à la réduction des émissions de gaz à effet de serre et autorise leur transfert à d’autres pays pour leur permettre d’atteindre leurs objectifs climatiques. La crédibilité de ce marché repose, au préalable, sur la fiabilité des données utilisées.
Tous les pays de la région prévoient de recourir à ces mécanismes de marché. Comme le Gabon, pour rétribuer les absorptions nettes de carbone de son couvert forestier, ou comme la RDC, pour récompenser ses efforts dans la lutte contre la déforestation. Le géant de 100 millions d’habitants perd environ 500 000 hectares de forêt chaque année – soit l’équivalent d’un département français en moyenne. Ce recul de la forêt, lié principalement aux pratiques d’agriculture itinérante sur brûlis et à l’utilisation du bois comme source d’énergie, fait de la RDC le premier émetteur de gaz à effet de serre du continent devant l’Afrique du Sud et ses centrales à charbon.
Laurence Caramel
Contribuer

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